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7 septembre 2012 5 07 /09 /septembre /2012 23:35


Fahmi
Au cours de ces dernières semaines, le Gouvernement français a dépêché dans notre archipel, une mission conduite par un éminent membre du Conseil d’Etat, Alain Chritnacht, en vue d’étudier, entre autres questions, la pertinence du visa dit “Balladur”, établi en 1994 entre l’Ile comorienne de Mayotte et ses îles sœurs. Elle fait suite à une autre mission conduite par Jean–Pierre Sueur, au mois de mars dernier, et qui a abouti à des recommandations édifiantes au sujet des mouvements de personnes entre nos îles.

En effet, dans la recommandation 23, ladite mission stipule de “mettre fin aux tragédies créées par les trafics de kwassas–kwassas entre Anjouan et Mayotte et aux lourdes difficultés engendrées à Mayotte par une immigration non maîtrisée”. La mission propose “d’œuvrer activement pour la conclusion d’accords bilatéraux entre la France et les Comores dans le domaine de l’immigration”. Dans la recommandation 24, la mission sénatoriale propose de mettre fin au visa Balladur, qui selon elle, “n’a aucunement mis fin à l’immigration illégale et lui substituer un dispositif d’attribution de visa plus réaliste et rigoureux, afin de mieux maîtriser l’immigration”.

Je voudrais tout d’abord saluer ces initiatives prises par les nouvelles autorités françaises ; elles illustrent une volonté de se donner une approche nouvelle dans les relations entre la France et l’Afrique, plus respectueuse des partenaires en présence et nourrie d’un sens de pragmatisme et d’efficacité. Mais avant d’aborder la question précise du visa Balladur, qui n’est qu’une conséquence de la décolonisation inachevée de notre pays, il faudrait se rendre à l’évidence que le maintien de l’Ile Comorienne de Mayotte sous administration française demeure une épine pour les Comores et une plaie pour la France.

Pour les Comores, cette question, tout en ayant rendu l’indépendance fragile, a fait de Mayotte la base-arrière de beaucoup de manœuvres de déstabilisation de l’Etat Comorien au cours de ces derrières années. Pour la France, dont la place de choix dans le concert des Nations n’est pas due à un poids économique ou démographique mais à son rôle d’avant garde des valeurs universelles de liberté, de paix dans le respect des peuples et du droit international, le fait accompli que constitue sa présence à Mayotte, au mépris de la dizaine de résolutions adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, brouille son message universel et peut laisser penser qu’elle devient adepte d’une politique de deux poids deux mesures.

Le visa Balladur, qui devait limiter les mouvements de personnes entre Mayotte et les autres îles, que trente sept ans de séparation forcée n’ont pas pu briser les liens multiples et les complicités culturelles, sanguines et sociales, a abouti à l’inverse de l’effet recherché, c’est-à-dire une augmentation des mouvements de personnes vers Mayotte. Il a surtout rendu possible plus de 16 mille morts noyés dont des femmes et des enfants.

On peut donc dire qu’au-delà de l’absence de tout fondement légal au regard du droit international, le visa Balladur s’est avéré inefficace par rapport au but recherché et pose surtout le problème de la responsabilité de ces dizaines de milliers de morts. C’est pourquoi la mission Alain Chritnacht est à saluer, à condition qu’elle soit démunie de tout préjugé et qu’elle vise à trouver une voie acceptable pour toutes les parties. En effet, tout le monde accepte le fait que Mayotte présente aujourd’hui une attraction pour un grand nombre de ressortissants des autres îles et de la région, y compris du continent en raison notamment de certaines prestations issues du modèle social français.

L’absence de contrôle de mouvements de personnes est de nature à entrainer un déséquilibre dans cette île comorienne compte tenu d’un espace de vie étroit, d’un environnement fragile et une densité déjà importante. Pour cette raison, nous conviendrons que toute solution définitive à la question de Mayotte exige que l’on construise de perspectives de développement permettant à chaque citoyen des quatre îles de réussir sa vie dans la dignité. Il est bien entendu naturel qu’une solution définitive doive préserver les liens séculaires qui nous unissent à la France.

Mais en attendant, il est important de maîtriser les flux de personnes vers cette île. La réponse à cette question est bien possible. L’Etat Comorien doit assumer cette responsabilité. Il est le mieux placé car pouvant disposer d’un système d’information complet sur l’ensemble des îles. La suppression du visa Balladur rendra cette option possible.

Un dispositif administratif spécifique peut être mis en place par l’Etat en toute transparence vis-à-vis de l’Administration mahoraise. Il simplifierait davantage les formalités administratives pour les habitants de Mayotte désirant se rendre dans les autres îles. Des objectifs chiffrés peuvent être fixés et vérifiés par toutes les parties. Mais au-delà de l’efficacité, la suppression du visa Balladur serait un geste diplomatique à la hauteur de la Grandeur de la France et du respect des liens historiques qui unissent les deux pays. Il couperait l’arbre aux pieds de ceux qui voudraient résumer l’essentiel des relations franco-comoriennes à la demi-douzaine de coup d’Etat orchestrée par Bob Denard, comme aiment à le dire certains médias français, et aux déstabilisations des Comores s’appuyant sur l’Ile d’Anjouan avec Mayotte comme base arrière.

Une nouvelle page s’ouvrirait et permettrait de construire un nouveau partenariat stratégique entre les deux pays. Un partenariat libéré des reflexes coloniaux et respectueux des intérêts légitimes de toutes les parties. Ce partenariat rénové rendrait enfin justice à ceux de nos parents qui ont cru en la parole de la Grande France. Les raisons d’espérer sont à notre portée. Nous autres croyons que quoi que l’on dise, ce qui unit les Comores et la France est plus fort que ce qui les divise.

Fahmi Saïd Ibrahim
Ancien minsitre des relations extérieures

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