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19 octobre 2013 6 19 /10 /octobre /2013 15:26

 

Neutralite_de_la_Cpi

C’est l’éternel débat: la Cour pénale internationale (Cpi) est-elle raciste? La majorité des pays africains en sont, en tout cas, convaincus. Ils dénoncent une «fixation» de cette juridiction sur l’Afrique, voire «un néocolonialisme». Réunie en sommet extraordinaire, les 11 et 12 octobre à Addis-Abeba, les chefs d’Etat et de gouvernement du continent ont demandé purement et simplement la suspension des poursuites contre le président et le vice-président kenyans.

«Le Kenya est un pays de la ligne de front dans la lutte contre le terrorisme aux niveaux régional, continental et international. (...) La procédure engagée contre le président et le vice-président du Kenya ne fera que détourner leur attention et les empêcher de remplir leurs responsabilités constitutionnelles, y compris les questions de sécurité nationale et régionale», lit-on dans une lettre adressée au Conseil de sécurité des Nations unies par l’Union africaine (Ua). Pour rappel, ces deux têtes de l’exécutif kenyan sont poursuivies pour crimes contre l’humanité après la crise postélectorale de 2007-2008.

Les Comores se sont jointes à cette levée de boucliers contre la Cpi. «Nous sommes contre l’impunité, mais nous estimons que la Cpi n’est pas assez neutre. Au fil des ans, nous constatons que l’institution est de plus en plus politisée», a déclaré à Al-watwan l’ambassadeur des Comores en Ethiopie, Assoumani Youssouf Mondoha, qui représentait le président Ikililou Dhoinine aux travaux de ce sommet extraordinaire.

Le diplomate sait de quoi il parle: en tant que député, il s’est battu bec et ongles pour que les Comores ratifient le Statut de Rome en juin 2006. Aujourd’hui, il se dit déçu de voir la Cour «se focaliser sur une seule région géographique comme si les autres parties du monde n’avaient connu de pires crimes». Mais, plus que d’autres Etats, les Comores ont peut-être raison de mettre en doute la neutralité de la Cpi. En effet, en mai dernier, le gouvernement comorien avait porté plainte contre l’Etat d’Israël après le raid contre une flotte d’aide humanitaire en route vers Gaza (le navire en question, le Mavi Marmara, battait pavillon comorien).

Malgré la rencontre entre, d’une part, la partie comorienne et le cabinet d’avocats turc Elmadag, et la procureure de la Cpi, Fatou Bensouda, d’autre part, le dossier n’a pas avancé, loin s’en faut. Or, on a vu avec quelle diligence elle a travaillé sur d’autres dossiers.

Pour éviter qu’à l’avenir, la Cpi n’enquête pas sur l’Afrique, l’Ua envisage d’élargir «le mandat de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples au jugement des crimes internationaux, tels que le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre».

Bien que toutes les critiques formulées à l’encontre de la Cpi soient légitimes, un retrait de l’Afrique de cette juridiction internationale comme cela est évoqué dans certains cercles, ne s’apparenterait-il pas à une prime à l’impunité? Pourquoi devons nous avoir de complexe à voir Taylor et consorts traduits en justice, eux qui n’ont eu aucun scrupule à exécuter de pauvres innocents? Comment peut-on faire confiance aux justices nationales africaines lorsqu’on sait la façon dont elles fonctionnent, leurs carences et leurs insuffisances? Le procès Habré, du nom de l’ex-président tchadien aujourd’hui détenu au Sénégal, n’est-il pas là pour prouver que le continent ne dispose pas de toutes les ressources pour juger ses propres bourreaux?

Dans un communiqué publié le 13 octobre, Amnesty International a condamné énergiquement la requête de l’Ua relative à «la suspension des poursuites contre le président et le vice-président kenyans». «Cette déclaration envoie un mauvais message, celui que les hommes politiques sur le continent africain placent leurs intérêts politiques au-dessus de ceux des victimes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide», a déclaré le directeur adjoint en charge du droit chez Amnesty, Tawanda Hondora.

Selon toujours l’Organisation non-gouvernementale, «demander l’ajournement des procès (...) enverrait le message fort que les victimes des violences post-électorales au Kenya n’importent pas».

L’ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, abonde dans le même sens. Le retrait de l’Afrique de la Cpi serait «une marque de honte» pour le continent. «La Cour pénale internationale est le premier et le seul tribunal de compétence mondiale à juger les crimes contre l’humanité. Mais les dirigeants de certains pays, qui ont répandu la peur et la terreur dans leur pays, tentent de faire sortir l’Afrique de la Cpi, ce qui leur permettrait de tuer, de violer et d’inciter à la violence et à la haine en toute impunité» peut-on lire dans une tribune conjointe signée par Kofi Annan et l’archevêque sud-africain, Desmond Tutu.

Mohamed Inoussa

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